Alexandre, où allons-nous ?
Au sommet de la course de côte de Mont-Saint-Aubert. La Belgique a beau s’appeler le Plat Pays – c’est particulièrement vrai dans la région de Tournai -, on y trouve des courses de côte. Celle-ci est tracée sur une colline posée dans la plaine picarde. De là, quand la météo le permet, on voit la France sur des kilomètres. Un parfait résumé de ma vie : je suis originaire du Nord et j’habite en Belgique depuis plus de trente ans. On n’est pas loin de Mouscron, là où j’ai établi le siège d’All Exclusive Car (AEC). J’ai choisi cet endroit parce que c’est un nœud autoroutier proche de la frontière franco-belge. On s’adresse donc aux clients des deux pays.
Et pourquoi à bord d’une Porsche 911 Dakar ?
C’est un clin d’œil à ma double participation au plus célèbre des rallyes-raids. Mais aussi à la légendaire amitié franco-belge. Rappelez-vous… René Metge a brillé sur la Porsche au Dakar grâce à un programme monté par Jacky Ickx. Le bolide actuel reprend le look de la voiture qui a triomphé dans l’édition africaine en 1984, mais c’est aussi un modèle exclusif : 2 500 exemplaires seulement ont été construits. En outre, sa garde au sol peut être augmentée de 80 millimètres. De quoi affronter sereinement l’état des routes belges qui est loin d’être exemplaire ! Avec 480 ch et la traction intégrale, c’est une voiture qui offre de très belles sensations.
Le Dakar, vous y avez participé sur le tard !
Comme tout ce qui touche au sport automobile ! J’ai 53 ans. Je fais partie de la génération des gamins qui ont rêvé de cette épreuve devant le poste de télévision familial. Mais à la maison, mes parents ne voulaient pas entendre parler de sports mécaniques. Gosse, j’ai participé à des compétitions en BMX. La suite logique, c’était le motocross, mais j’ai été confronté à un veto parental. Moi qui aurais tant aimé disputer l’Enduro du Touquet, j’ai reçu un niet catégorique. Mon père et ma mère jugeaient ce sport trop dangereux. Ils n’avaient sans doute pas tort.
Alors, quand avez-vous franchi le cap de la compétition ?
Voici une dizaine d’années seulement. Avec Nicolas Delangue, mon ami d’enfance, nous assistions à ce bel évènement qu’est Le Mans Classic depuis les tribunes. Nous étions en admiration devant ces voitures exceptionnelles d’une autre époque. Nous nous sommes dit que ce serait mieux encore si l’on passait de l’autre côté du rail. Quelques semaines plus tard (en 2015. Ndlr), nous étions au départ du Tour de Corse Historique sur une Alfa Romeo 2600 Sprint. Nous avons non seulement terminé l’épreuve, mais en plus, nous avons remporté la catégorie. Avant le départ, mon copilote ne connaissait strictement rien au rallye ! Chapeau d’être venu à bout des notes fournies par Yves Loubet, l’organisateur. C’est un copain qui assurait l’assistance avec sa caisse à outils. Ce résultat nous a encouragés à disputer d’autres épreuves. En 2016, on a remis le couvert avec une Jidé 1300 et nous nous sommes un peu mieux préparés. Notamment grâce aux précieux conseils de Dominique Savignoni pour la prise de notes. En Corse, mais aussi au Tour de France Auto. Je me souviens d’une scène émouvante où nous étions dans la file avant le départ d’un secteur chronométré. « Tchine » (Auguste Turuani. Ndlr) et Michel Robini sont presque tombés dans les pommes en se rendant compte qu’il s’agissait du véhicule avec lequel ils avaient roulé dans les années 1970. Ils en avaient les larmes aux yeux. Nous avons aussi goûté au pilotage sur terre avec une Datsun 240 Z en Sardaigne. Puis c’est au volant d’une Mazda RX-7 que je me suis régalé. En particulier au Maroc Historic Rally.
Puis vous vous êtes tourné vers le circuit ?
En effet. J’y avais goûté au travers des étapes proposées par Peter Auto au Tour de France. J’ai eu le bonheur d’acquérir une Lola T600 qui avait disputé les 24 Heures du Mans en 1981, une Aston Martin Groupe C et un proto Lola B98 d’une puissance folle. Des bolides avec lesquels je me suis régalé dans les Hunaudières au Mans Classic.
Ce qui est peu commun, c’est que vous avez fait le chemin inverse de la plupart des pilotes : vous êtes passé des évènements dédiés aux voitures historiques aux courses modernes…
Je voulais d’abord acquérir de l’expérience. C’est seulement après plusieurs saisons en Historique que j’ai décidé de franchir le cap des voitures d’aujourd’hui. L’an passé, j’ai participé à la Porsche Carrera Cup France. J’ai terminé 3e de la catégorie Am. Pas mal de gens me disaient que j’allais souffrir face à une concurrence féroce où l’on n’évolue plus entre gentlemen. Il a fallu que je sorte de ma zone de confort pour que je trouve mes marques au cœur d’un peloton où les pilotes ne se font pas de cadeaux. Je suis entré dans un autre monde. On a aussi droit à un ingénieur qui analyse les datas. En outre, la 992 utilisée ne dispose pas d’aide électronique au pilotage. C’est viril ! Mais j’ai adoré. Cette année, je m’engage dans les compétitions GT2 mises sur pied par SRO au volant d’une Maserati MC20. Le premier meeting a eu lieu récemment au Castellet où j’ai terminé 2e et 3e des deux courses. En principe, ces épreuves durent 50 minutes et on passe le volant à un équipier. Moi, j’ai choisi de rouler seul pour garder un véritable challenge sportif. Sur le circuit Paul-Ricard, j’ai été servi. J’ai pris pas mal de G dans les courbes rapides. À chaque round, la fatigue se faisait sentir dans les dernières minutes.
En jetant un œil sur vos résultats, vous ne regrettez pas d’avoir débuté si tardivement ?
Si, bien sûr. J’ai beaucoup de regrets. Surtout quand je pense que je n’ai jamais pris une seule heure de cours de pilotage. Mais c’est la vie ! Il n’y a pas de marche arrière possible. Et puis, mes deux fils sont tout aussi passionnés que moi. Achille a 15 ans. Après le karting, il vient de passer à la Caterham. Anton, 11 ans, est aussi un assidu du kart. Quant à moi, je n’ai d’autre ambition que de me faire plaisir tout en progressant. Notamment en GT2.
Vous avez encore des rêves ?
Celui de disputer le Dakar est assouvi. Deux fois au départ et deux fois à l’arrivée. Quelle aventure hors du commun. En pilotant un CR6 de l’équipe de Mathieu Serradori et toujours avec mon ami d’enfance (Nicolas Delangue. Ndlr), nous avons plusieurs fois intégré le top 10 en spéciale. De quoi être fier dans une discipline où, par définition, c’est l’expérience qui prévaut. Je n’exclus d’ailleurs pas d’y retourner dès l’an prochain. Soit au volant d’un T1, soit d’un Apach dans lequel je me suis impliqué. Mais il me reste un autre rêve : celui de disputer les 24 Heures du Mans. Un projet qui aboutira un jour où l’autre, j’en suis convaincu.
Justement, parlons d’AEC et de vos implications à plusieurs niveaux et dans différentes disciplines.
La genèse d’All Exclusive Car, ce sont les voitures historiques. Dans la branche collection, j’aime partager ma passion pour les autos des années 1970. À cette époque, les stylistes pouvaient exprimer leur talent à travers des courbes affriolantes. Zagato, c’est le Picasso de la voiture. Quand on contemple une Aston Martin DB4 dans laquelle il s’est impliqué dans la version éponyme, on ne peut qu’être en pâmoison. Même si son prix est devenu totalement indécent (près de 15 millions d’euros. Ndlr), c’est un objet d’art. Aujourd’hui, les voitures sont devenues tellement tristes. Les constructeurs ne pensent qu’à la consommation, la sécurité passive et la connectivité. C’est bien dommage qu’on gomme totalement ce qui a fait la valeur de ces engins. Donc, chez AEC Collection, nous nous mettons à la recherche de voitures des années 1970 que nous restaurons et revendons. Parfois, il s’agit d’échanges avec des collectionneurs tout aussi passionnés.
Vous avez aussi un service de location ?
Nous avons aussi une branche où nous offrons un service tout compris pour des voitures de course. C’est ainsi que nous possédons désormais cinq Mazda RX-7. L’une est une véritable Groupe B d’époque et possède un pedigree en rallye. Les quatre autres sont des copies. Elles ont été montées de A à Z sur base de Mazda de série, mais elles possèdent toutes le fameux Passeport Technique Historique qui certifie que l’auto a été remontée selon la philosophie de l’époque et avec des pièces aux normes identiques. Pas loin de 500 heures sont nécessaires pour réaliser ces engins. Le moteur rotatif est complètement refait. Dans sa version Groupe B, il affichait 280 ch. Chez nous, il offre 306 ch et peut monter jusqu’à 12 000 tours/minute.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à cette Mazda ?
Au départ, c’est Philippe Gache qui exploitait ces bolides hors du commun. Quand il a décidé de cesser cette activité, il pensait revendre le matériel à plusieurs personnes. Je lui ai proposé de devenir l’acquéreur de l’ensemble pour nous inscrire dans la continuité de son travail. La RX-7 est originale par la conception de son moteur rotatif et son bruit exceptionnel. C’est une propulsion relativement facile à piloter pour un amateur. Autre avantage : quel que soit le niveau du pilote, il éprouvera du plaisir. Notamment grâce à la mélodie du moteur. Et comme elle peut être aussi agile sur la terre que sur l’asphalte, on peut se régaler à son volant dans de nombreuses épreuves. Mais nous avons aussi une Datsun 240 Z spécifique aux rallyes sur terre et une Alfa Romeo Groupe 4.
Vous êtes aussi impliqué dans la conception d’un SSV de rallye-raid !
En effet. Il s’agit de l’APH-01, le premier véhicule hybride homologué en catégorie FIA Challenge. C’est un T3-U construit par Apache Automotive. Nous sommes l’un des trois éléments avec GCK Performance qui bénéficie de l’expertise et le savoir-faire de Gerlain Chicherit en rallye-raid et Race Group, un prestataire de services dans le domaine de l’ingénierie. Nous avons réuni nos forces pour devenir un constructeur à part entière dans un secteur en plein essor, celui des véhicules hybrides. Le nôtre est doté de la traction intégrale. Les roues avant sont mues par un moteur électrique tandis que les roues arrière jouissent des 200 ch d’un moteur Stellantis 4 cylindres de 1 300 cc. Nous avons poussé la réflexion écologique plus loin. Le moteur thermique est alimenté par du biocarburant. La carrosserie est faite à base de fibre de lin. Nous avons travaillé également avec du basalte. Les véhicules sont montés près de Toulouse. Lors de l’Africa Eco Race, en janvier dernier, ce bolide a démontré tout son potentiel. Ainsi, Gautier Paulin et Remi Boulanger ont remporté le classement général, toutes catégories confondues, à bord de ce SSV tandis que Pierre-Yves Loubet, dont c’était la première expérience en rallye-raid, a signé sept victoires d’étapes. D’excellents résultats quand on sait qu’il s’agissait de la première compétition de ce SSV qui n’a pas connu de souci majeur en 6 000 km dans des conditions souvent difficiles. Une prestation d’ensemble qui n’a pas échappé aux connaisseurs.
C’est-à-dire ?
À l’arrivée, Jean-Louis Schlesser nous a longuement félicités. Il était impressionné de constater le degré de compétitivité et de fiabilité dès la première course. Ce qui semble très rare en rallye-raid. Pour cette première expérience, c’est nous qui avons organisé l’assistance. Nous voulions recueillir un maximum de renseignements. Mais c’était exceptionnel. Désormais, nous nous concentrons sur notre rôle de constructeur. Nous comptons vendre ce véhicule à différents teams. Nous espérons notamment qu’il sera aligné au Dakar 2025. Récemment, nous avons organisé une journée d’essai pour différents clients potentiels (il nous revient que Thierry Neuville était parmi les pilotes invités. Ndlr). Nous remarquons aussi que ce petit bolide très performant attire aussi pas mal de concurrentes. Sans doute son hybridation parle-t-elle davantage à des pilotes de la gente féminine.
Vous confirmez que vous vous impliquez aussi dans la carrière de certains pilotes ?
Je confirme. Mais je précise d’emblée que j’agis en qualité d’investisseur et non de mécène. La nuance est de taille ! Nous avons formé une académie dont le rôle consiste à détecter des jeunes en karting. Comme il s’agit de la base même du sport automobile, nous aidons un authentique espoir. Il s’agit de Livio Mariotta, un pilote de 14 ans qui s’implique en karting depuis sept saisons. Nous allons le voir à l’œuvre en championnat de France et dans quelques manches du championnat d’Europe. Et au niveau mondial du rallye, nous soutenons Pierre-Louis Loubet depuis cinq ans. Nous l’avons choisi pour son talent, bien sûr, mais aussi son côté discret, humble. Il est parti de pas grand-chose et a gravi peu à peu les échelons. C’est un jeune homme foncièrement intelligent, il comprend très vite. Il a démontré tout son potentiel en s’imposant en WRC2 en 2019. Il mérite d’être soutenu. Pour l’instant, il n’est plus dans la catégorie-reine, mais son engagement en WRC2 lui permettra sans doute de revenir au premier plan. Je le lui souhaite.
On imagine aisément que vous recevez de très nombreux dossiers de candidatures ?
Oh oui ! (Il sourit). Mais je ne peux pas aider tout le monde. D’autant plus que mon aide ne se limite pas à une ou deux saisons. Je préfère le long terme parce qu’il y a plein de paramètres à vérifier. Je veux voir si mes choix étaient bons dans différents domaines. Ainsi, j’observe le comportement général du pilote. Comment il gère le stress, comment il aborde chaque épreuve. Sa façon de se comporter avec ses équipiers, les mécanos. En plus des résultats, les qualités humaines sont importantes. Au risque de me répéter, ce n’est pas du mécénat. Quand je décide d’aider un pilote, je lui fais signer un contrat pour l’amener, si possible, au sommet de la hiérarchie. Je prends un risque. Et si ça marche, c’est à lui de me rembourser la somme investie. C’est un système qui a remarquablement fonctionné à une époque avec les rallymen finlandais et un de leurs compatriotes. Je ne vois pas pourquoi cela ne pourrait pas marcher chez nous dans d’autres disciplines. Par ailleurs, j’aimerais aussi étendre cette notion d’académie à d’autres métiers dans le sport automobile. Pourquoi ne pas former un jeune mécanicien en karting et l’aider à se tourner ensuite vers une écurie en WEC, en WRC ou en Formule 1 ?
Y a-t-il un aspect de vos occupations en sport automobile que l’on n’a pas abordé ?
C’est déjà pas mal, non ? Le sport automobile ne représente qu’une partie de mes activités professionnelles. Je m’implique également dans certains produits de bouche et dans le secteur environnemental. Ainsi, nous aidons des cultivateurs dans le montage de leurs hangars. En contrepartie, ils nous permettent l’utilisation de panneaux photovoltaïques sur le toit de ces bâtiments. Et nous revendons l’électricité que les panneaux produisent. Nous avons démarré cette activité en Corse avec une start-up. Nous pratiquons le même genre d’accord sur une douzaine de hangars du côté de Bordeaux (Gironde).
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